Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka, figure emblématique de l'opposition au roi Hassan II du Maroc et fervent défenseur du panafricanisme, est enlevé en plein Paris, à proximité de la brasserie Lipp. Cet événement mystérieux, mêlant des services secrets marocains et des figures troubles françaises, n'a jamais été élucidé. David Servenay, journaliste d'investigation, reprend l'enquête dans cette bande dessinée, s'appuyant sur des documents déclassifiés, des témoignages et une approche journalistique rigoureuse pour tenter de lever le voile sur cette affaire d'État.

David Servenay, fort de son expérience de journaliste d'investigation, aborde l'affaire Ben Barka avec une méticulosité impressionnante. La narration est dense, s'appuyant sur une chronologie précise des événements et une présentation claire des différents acteurs impliqués (politiques, policiers, truands, services secrets). On sent un véritable travail de recherche derrière chaque case. L'affaire Ben Barka est notoirement complexe, avec de multiples ramifications et des zones d'ombre persistantes. Servenay parvient à rendre cette complexité accessible au lecteur sans la simplifier à outrance. Il expose les différentes théories, les contradictions et les impasses de l'enquête. Malgré la nature documentaire du récit, Servenay parvient à maintenir une tension palpable tout au long de la lecture. Le mystère de la disparition, les jeux de pouvoir et les manipulations sont distillés avec un sens du rythme qui tient le lecteur en haleine. La BD ne se contente pas de raconter l'histoire ; elle explique le contexte politique de l'époque (guerre froide, décolonisation, tensions entre la France et le Maroc), les enjeux pour les différents acteurs et les conséquences de cette affaire sur les relations internationales. Fidèle à la réalité de l'enquête, la bande dessinée ne prétend pas apporter de réponse définitive à la question de ce qui est arrivé à Ben Barka. Elle expose les pistes les plus probables et les zones d'ombre qui subsistent, laissant le lecteur avec ses propres interrogations. Le choix d'un dessin en noir et blanc avec un style réaliste et parfois ombragé renforce l'atmosphère de thriller politique et le caractère grave de l'affaire. Les personnages sont reconnaissables et expressifs. Le dessin de Raynal est au service du récit. Les cadrages sont pertinents, les plans séquences bien construits et la mise en page claire, facilitant la compréhension des événements parfois complexes. Un soin particulier est apporté à la reconstitution des lieux et des ambiances de l'époque (Paris des années 60, bureaux feutrés, etc.), contribuant à l'immersion du lecteur. Le noir et blanc confère une sobriété visuelle qui met en avant l'intensité du récit. Les contrastes et les jeux d'ombres créent une atmosphère pesante et mystérieuse.  On pourrait toutefois noter quelques moments où la ressemblance avec des figures historiques pourrait être plus marquée ou certains détails de l'arrière-plan plus précis. Cependant, cela ne nuit pas à la qualité globale de l'œuvre.